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Déchéance ou main tendue ?

Voici donc une des mesures phares du gouvernement pour enrayer le terrorisme. Une bonne idée… pour éviter de se regarder en face.

Suite à l’article “terrorisme, état limite de la pensée” dans lequel j’évoquais la possibilité que le terrorisme pourrait être un des symptômes d’une société en déficit de pensée, il me paraissait intéressant d’aborder sous un même angle, la possible mesure de déchéance de nationalité.

La double dualité

Tout d’abord, une attaque terroriste est l’expression d’une dualité. Il y a en effet une différence entre le terroriste et l’objet qu’il attaque. Un terroriste, porté par un idéal se pose de fait contre l’idéal de l’autre en cherchant à imposer le sien. Il y a un aveuglement, des œillères, l’empêchant de voir et comprendre le point de vue opposé. Seule compte sa position qu’il doit imposer comme vérité aux autres.

D’autre part, comme nous l’avons vu dans l’article cité, la pensée nationale émerge difficilement et nous obtenons une réaction émotionnelle de protection. Cette protection, sûrement nécessaire dans un premier temps, sur le plan physique, est aussi une marque de dualité : nous nous protégeons de l’autre en renforçant nos frontières. Les frontières n’étant ici pas seulement les limites des pays, mais toute barrière ou intermédiaire entre le peuple et l’autre. En l’occurrence, l’accroissement des forces de sécurité joue ce rôle. Une “peau” supplémentaire est placée entre l’autre et moi.

La déchéance de nationalité, comme nous le constatons, intervient dans un second temps. D’aucun dira que cette mesure est symbolique et donc inefficace. La déchéance de nationalité empêcherait-elle réellement une personne qui en aura été l’objet de récidiver ? Cependant, l’importance de cette notion est à chercher dans la qualité du lien symbolique qu’elle génère. Pour plus de clarté, prenons l’exemple de l’enfant banni de sa famille pour une raison quelconque. Au-delà de la violence qui peut être ressentie et des déboires de vie, le message est évident : nous ne te reconnaissons plus comme appartenant à notre groupe, tu es autre : dualité et violence des éprouvés autant d’un côté que de l’autre.

Bannissement et intégration

Que se passe-t-il alors ? Pour la famille, la dualité ne fait que se renforcer : nous et l’enfant. Et pour ce dernier, c’est la même chose :  il y a moi et le groupe qui m’a rejeté. Cependant, pour l’enfant, il y a aussi une perte de repères constructifs. En effet, dans toutes psychothérapies, il est important que le thérapeute soit garant du cadre institutionnel — de la loi — dans lequel pourra s’élaborer la pensée du patient. C’est exactement le même principe pour des parents face à leur enfant. Le cadre doit être suffisamment stable et constant pour tenir et contenir les attaques de l’enfant :  je t’accepte, mais ton action ne me détruit pas. Cela oblige l’enfant à se réorganiser en pensée, à penser le moi en tant que moi et le moi dans sa relation aux autres. Ainsi, d’une manière plus simple, bannir une personne, revient à l’empêcher de créer les pensées nécessaires à son intégration et, d’autre part, évite au bannisseur de se remettre en question quant à sa propre personnalité et à sa manière d’être au monde, face à l’autre.

Accepter l’autre n’est en effet pas anodin et demande un effort sur soi important. Car si l’autre nous dérange, c’est qu’il touche précisément à un point sensible d’identification, un nœud que l’on souhaiterait souvent bien garder caché. Par exemple, en France, sommes-nous prêts à nous remettre en question fondamentalement sur notre éducation, notre économie, notre gouvernance, etc. Car ce sont ces sujets qui émergent peu à peu suite aux attentats : comment modifier l’éducation pour favoriser l’intégration, la laïcité, le respect de l’autre ; comment revoir l’accès au travail avec une plus juste répartition ; comment donner une voix équitable à chacun dans ses revendications et ses propositions, etc. Cependant, simplement réformer ces systèmes ne changera pas grand chose. Car il est nécessaire de les repenser fondamentalement. C’est là où nous avons du mal. Nous tentons alors d’éviter d’y penser par des réformes superficielles, rapides et réactives.

On ajoutera que cette mesure ne pourrait s’appliquer uniquement aux personnes ayant une double nationalité. Cependant double nationalité ou pas, le problème est du même ordre. Car nous raisonnons, pour l’instant uniquement dans le cadre de nos frontières françaises. Ne pourrions-nous pas ouvrir notre point de vue et devenir citoyen du monde ? A ce sujet, je vous invite à lire l’article de Frédérique, “Citoyens et citoyennes du monde” . Dans ce cas, ne se pose plus la question de la nation face aux étrangers, mais de l’universalité de la problématique de la rencontre avec l’autre.

Le paradoxe de l’accueil

C’est ma fille de 9 ans qui exprima l’évidence de la solution. Initiée à la méditation de pleine conscience, elle avait déjà remarqué qu’il était impossible de faire le vide dans sa tête, que les pensées reviennent constamment. Elle avait souligné ce paradoxe de la méditation : pour “ne plus penser” il ne s’agit pas de faire le noir dans sa tête ou d’arrêter les pensées, mais au contraire, de les accepter, de les inviter, comme dans une maison, de leur faire une place, sans pour autant se focaliser sur elles et les attiser. Les pensées alors accueillies et acceptées en paix, disparaissent aussi vite qu’elles sont apparues. Pour ne plus être envahie de pensées, il faut les inviter et les accepter sans s’y attacher.

Lors d’une discussion sur le terrorisme, elle s’interrogeait comment faire pour ne plus avoir peur et se protéger. Elle voyait clairement, avec ses mots, que la peur était générée par la dualité et l’ignorance de l’autre : moi et toi que je ne connais pas. Elle voyait aussi que cette posture de protection et de distanciation, peut durer indéfiniment, tant que l’un ou l’autre ne fait pas un pas pour se rapprocher. Et peu à peu, elle fit le lien avec la méditation de pleine conscience : accepter les pensées pour ne plus être submergé par elles ; accepter l’autre, le comprendre et l’intégrer en soi pour ne plus en avoir peur. Finalement, elle résuma victorieusement tout le paradoxe de la solution :
“— En fait, c’est bizarre, pour se protéger, il ne faut pas se protéger !
— Oui, je crois que tu as tout compris.”

Crédit photo  : Pixabay

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