Lors d’une récente réunion portant sur les revendications du personnel à laquelle j’assistais, une enseignante se plaignait de ne pas se sentir écoutée par la direction. Je ne peux m’empêcher un rapprochement avec les problèmes d’écoute en famille ou avec les dialogues de sourds qu’entretiennent actuellement les acteurs sociaux autour de la loi travail. En famille ou au travail, pas facile l’art de l’écoute !
Il n’y a pas deux psychologies : individuelle ou sociale. L’une n’est que le reflet de l’autre et se répondent analogiquement. Les problématiques sociales peuvent se comparer aux problématiques individuelles et familiales. A ce sujet, je vous invite à lire L’adolescence en suspens ou USA, un pas de conscience ? Laissez-moi vous raconter une histoire.
Écoute-moi et cherche le sens
Un père et son enfant se réconcilient après une dispute. Le père reprochant à l’enfant de ne pas lui obéir.
— Mais Papa, c’est toi qui ne m’écoutes pas.
— Comment ça c’est moi qui ne t’écoute pas ?
— Quand je te parle ou demande des choses, tu ne m’écoutes pas.
Le père se sent retranché en lui-même et explose dans sa souffrance :
— Comment peux-tu dire que je ne t’écoute pas. Ne te donnais-je pas un toit, de la nourriture, des habits ? Ne te permettais-je pas d’aller à l’école, d’apprendre, de t’instruire ? Comment peux-tu dire que je ne t’écoute pas ? Je fais tout ce qui en mon pouvoir pour que tu aies une vie réussie.
— Mais Papa je n’ai pas besoin d’une vie réussie. C’est ton projet. Ce sont tes projets. Connais-tu mon projet ? Connais-tu ce que j’ai à proposer ?
Le père reste interdit :
— Euh… un jour tu m’as dit que tu voulais être pompier.
— Ça c’est ce que je t’ai dit. Ce n’est peut-être pas ce que je suis.
— Mais alors dis-moi ton projet, parle-moi de ce dont tu as envie ! Je veux te voir grandir. Je veux t’aider. Je te donnerai les moyens.
— Mais je ne peux pas le dire. Je ne le connais pas encore.
— …
— Tu sais papa, maintenant je suis une grande personne. Maintenant il y a quelque chose qui résonne en moi, qui cherche à me traverser et qui veut s’exprimer. Comment pourrais-je savoir qui je suis et ce qui résonne en moi si personne ne m’écoute ?
Dans ce dialogue, le père se retranche dans les actions concrètes et matérielles. En société le père correspond aux parents, au patron, à la direction. Il est intéressant de voir comment le défaut d’écoute s’évite en exposant les moyens et les actions concrètes. Il y a besoin d’une justification en montrant ce qui a été fait, voire en démontrant, comme preuve de l’écoute de l’autre. Cela peut toutefois être fait avec une grande sincérité.
En famille, au travail ou dans la société, cette pseudo-écoute avec une réponse immédiatement matérielle est courante et conforte l’asymétrie de l’écoute dans un rapport hiérarchique parent/enfant ou patron/employé. Ainsi, notre société française fonctionne en asymétrie dans ses rapports à la création commune : les pensées et les décisions créatrices étant réservées aux instances hiérarchiquement dominantes. Dans le monde du travail c’est aussi souvent le cas. De ce fait, même si des réformes ou des restructurations sont nécessaires, elles ne correspondent pas forcément aux attentes de ceux qui les vivent. Ainsi, toute réforme engendre à un moment ou un autre une contestation car le travail de pensée créatrice n’a pas été partagé a priori.
Précisons un peu. La particularité d’une réforme est de proposer une nouvelle forme, sans se réinterroger sur le sens commun et l’orientation générale, ou, du moins, sans avoir partager ni co-construit le sens au préalable avec l’ensemble. Ainsi, une réforme apparaît comme une “réforme” lorsque le sens fait défaut. Les formes changent, le sens est absent du débat. En revanche, quand le sens est connu et a été construit par l’ensemble des acteurs, la réforme n’apparait plus comme telle, mais comme une étape dans la direction à prendre. Pour Gomez (professeur de stratégie à l’EM Lyon et directeur de l’Institut Français de Gouvernement des Entreprises), “redonner du sens au travail, c’est en fait répondre à trois questions : à quoi sert ce que je fais dans l’entreprise, à quoi sert l’entreprise elle-même, et en quoi elle construit une société.” ( Gomez, Guilleminot, 2016, p. 23).
Écoute l’autre, et cherche la compréhension
Si l’entente se caractérise par un mouvement plutôt unidirectionnel, l’écoute s’inscrit dans une co-création, une coopération de l’entente. De ce point de vue, l’écoute est une réflexivité interactive. On parle parfois d’écoute “active” dans des cercles d’échanges où la parole de l’un est reformulée par l’autre afin de s’assurer de la bonne compréhension.
Dans la psychologie ésotérique d’Alice Bailey (1974), l’ouïe correspond au premier des sens. C’est celui qui permet l’attraction et la mise en présence. Le son étant l’indice physique de la présence. Les autres sens viennent ensuite compléter l’ouïe vers une meilleure compréhension et intégration.
L’écoute s’inscrit alors dans le rapport à la présence de l’autre, dans ce qui résonne en lui et dans ce que la personne voudrait signifier au-delà des mots. Dans l’écoute, il y a mouvement sympathique, de co-résonnance. C’est une com-préhension : être deux en un. De cette co-résonnance peut alors se mettre en lumière la présence commune et peu à peu le sens commun qui en découle. Il n’est plus question de réformer pour réformer, mais d’exprimer ce qui est alors devenu une évidence pour tous.
Écoute-toi, et cherche l’action commune
Pour revenir au modèle de société, comparons au syndicalisme allemand qui “prend et partage des responsabilités. Alors qu’en France les syndicats sont essentiellement revendicatifs et contestataires.” ( Lasserre, 2012). Co-écoute et co-responsabilité vont alors de paire. Nous retrouvons cette manière de participer à la vie commune professionnelle dans les nouveaux modes de gouvernances mettant en œuvre l’intelligence collective comme l’holacratie, des managements équitables, ou des formes juridiques comme les SCOP. “En interne, l’entreprise du XXIe siècle doit utiliser l’intelligence collective, l’autonomie et la créativité de ses salariés. En externe, elle doit tenir compte de toutes les parties prenantes de son environnement en travaillant pour le bien commun” (d’après Staune, 2015, in Wassermann, 2015).
Cependant, l’individu et la société n’évoluent pas de manières isolées. L’un et l’autre sont en concordance. L’écoute ne peut se faire qu’en relation avec le temps et l’espace. Ainsi, une démarche d’écoute et de travail coopératif doit faire partie intégrante des temps et espaces institutionnels, par des temps d’échanges organisés. L’écoute par la mise en commun des problématiques et du sens devenant alors le fondement intrinsèque de l’organisation. En famille, il peut y avoir des temps d’échanges comme le préconisent les méthodes Faber et Mazlisch, Jean-François Laurent ou toute autre pratique de communication bienveillante. En classe, il peut y avoir des temps d’écoute commun de manière régulière et ritualisée instaurant ainsi l’axe d’organisation de la classe.
De manière complémentaire, comme individus et sociétés évoluent en concordance, nous ne pouvons faire l’économie du travail personnel et individuel de l’écoute intérieure. Comment écouter l’autre, en tant que personne ou en tant que groupe, si nous ne nous écoutons pas nous-mêmes ? Les temps d’écoute institutionnels doivent ainsi trouver leur pendant dans le temps d’écoute personnel régulier.
Écoute le futur
Comme nous l’avons vu dans le court dialogue, l’écoute ne se simplifie à comprendre et appliquer les besoins et attentes formulés par une personne ou un groupe. Il s’agit de toucher ce qui résonne en l’autre, de laisser exprimer la part d’inconnu, et explorer l’ensemble de ces possibilités.
Je le répète, mais cela me semble important, un fonctionnement par l’écoute n’est pas un fonctionnement anecdotique pour améliorer l’ordinaire de temps en temps. Par exemple, en institution, il ne s’agit pas de le faire bénévolement en dehors des horaires de travail, même si cela peut figurer un premier pas. L’écoute, le partage de points de vue, devient le terreau vivifiant du groupe et donc l’origine de ses futures créations.
Dans le dialogue du début, le père se rend compte qu’il se croyait pourvoyeur du futur de son enfant. Il croyait que par lui et grâce à lui, son enfant pourrait grandir et s’épanouir. Or, par des propositions trop rapidement matérielles, rien ne se pense et ne se construit en pensée. La présence de l’enfant n’est pas entendue. Et l’adulte ne donne pas à l’enfant les moyens d’entendre sa propre présence. Par l’écoute, la relation asymétrique peut évoluer en relation symétrique dans l’échange : la co-écoute, la co-pensée et la co-construction, deviennent le futur des deux.
C’est la relation d’écoute qui est porteuse de futur et non la réponse objective et matérielle aux besoins. Dans cette réponse matérielle, il n’y a pas de place pour une présence, une vie, car la réponse est cadrée et objective. Dans l’écoute, en revanche, il y a la place pour l’échange et donc pour l’expression étonnamment puissante de la vie et de ses potentialités.
Bibliographie Bailey, A. (1974). Un traité sur le feu cosmique. Genève : Editions Lucis. Guilleminot, A. (2016). Remettre du sens dans l'entreprise. L'express. n°3392. 6 au 12 juillet 2016. Paris : Groupe Altice Media. Lasserre, R. (2012). "La différence principale entre les syndicalistes français et allemands ? Eux ne tombent pas dans la contestation systématique". http://www.atlantico.fr/ Rondeau, P. (2016). Vive le management diversifié ! Staune, J., Attali, J. (2015). Les clés du futur : réinventer ensemble la société, l'économie et la science. Paris: Plon. Wassermann, C. (2015). L'entreprise intelligente. NiceFuture. n°1. Lausanne : Association NiceFuture
Photo : Alexandra - Pixabay.com
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Commentaire sur “Vers une écoute créatrice”