Dans l’éducation, l’accompagnement des élèves consiste à proposer un parcours adéquat à leurs évolutions. Dans l’idée d’accompagnement, il y a avant tout l’idée de « marcher à côté », autrement dit de s’adapter à la personne accompagnée et de fournir les conditions matérielles nécessaires au support affectif, relationnel et cognitif. Cependant, « marcher à côté » ne va pas de soit.
En effet, que ce soit dans les parcours éducatifs, de santé ou de fin de vie, la mise en place de dispositifs pour avoir quelqu’un qui « marche à nos côtés » demande un effort important : de longs mois de dossiers sont souvent nécessaires pour avoir une place en maison de retraite, dans une structure éducative spécialisée ou pour une prise en charge particulière. Cela s’apparente beaucoup à un parcours du combattant. Socialement, nous ne savons pas « marcher à côté » des personnes en souffrance de manière naturelle et, de fait, nous ne savons encore moins les accompagner. Avant de parler avec une personne, il faut que nous aussi nous puissions marcher à ses côtés, être à sa hauteur. Pour une équipe de professionnels, cela demande que l’ensemble du groupe et des individus marche du même pas, réglé sur la personne à accompagner. Ce n’est pas un processus administratif, il est question d’écoute et d’attention affective qui ne peuvent s’appuyer que sur la parole partagée. Or cela demande une organisation et une volonté d’accordage. Et malheureusement, cela n’est souvent pas le cas : l’accompagnement est trop souvent cadré et l’écoute des personnes nécessaire pour se mettre à leur pas, réduite au minimum.
Ainsi, les dispositifs éducatifs ont tendance à stigmatiser les enfants. Un handicap, une précocité, une pathologie se heurtent en permanence à la normalité institutionnelle. Les parcours habituels sont des parcours de normalité. Toute déviance, toute personnalisation d’un parcours d’accompagnement est fortement sanctionnée par la difficulté de sa mise en place.
Individuellement et professionnellement, il est aussi difficile d’accepter la déviance, même au sein de structures spécialisées. Dans l’éducation, par exemple, un enfant hyperactif, un enfant menteur ou manipulateur peut facilement se retrouver stigmatisé ; la faute se reportant sur lui ou ses parents. Or un enfant hyperactif, menteur ou manipulateur est avant tout le symptôme d’un enfant et d’une famille en souffrance à qui il s’agit de fournir le plus simplement possible le « marcher à côté » nécessaire à l’évolution de chacun.
Pourtant, marcher à côté semble facile. Mais aujourd’hui les résistances institutionnelles et personnelles restent importantes. Je ne remets pas en question le travail de nombreux professionnels qui chaque jour s’évertuent à offrir un mieux aux personnes accompagnées. Cependant, un dispositif pour « marcher à côté » est une anormalité, un parcours en marge d’une voie majeure, balisée et normale dans l’imaginaire commun. Par exemple, les classes spécialisées, ULIS ou SEGPA, où l’enfant peut trouver un accompagnement plus personnalisé et plus attentif, n’existent que comme une adaptation d’un parcours normal de l’Education Nationale.
Afin de faire évoluer ces pratiques, il convient, de mon point de vue, d’instaurer les discussions entre les différents acteurs. La normalité est telle que toute idée nouvelle est intolérable, autant pour les structures que le personnel. La parole et le dialogue ne sont pas des évidences et se cachent derrière les dossiers et les habitudes de pratique. Je dresse un schéma global, il y a fort heureusement des exceptions. Ainsi en est-il de groupes d’analyse de la pratique professionnelle en hôpital, en structure de soin ou d’ateliers et rencontres de professeurs des écoles s’interrogeant sur leurs méthodes pédagogiques (GEM01). Cependant, ces initiatives restent en marge de la normalité professionnelle : les réunions des professeurs des écoles se déroulent en dehors des heures de travail et les analyses de pratiques professionnelles sont timides, au mieux tous les mois dans certains lieux de soin. Dans d’autres, comme les établissements scolaires ou les maisons de retraite, libérer la parole commune et individuelle en groupe est difficile car aucun dispositif n’existe pour le faire. Il est donc alors difficile de s’organiser, pour marcher au pas de l’accompagné.
En guise de conclusion, il conviendrait alors de remettre l’anormalité comme normalité afin que le « marché à côté » puisse être une évidence pour chaque enfant ou personne en besoin d’accompagnement. Cela ne peut se faire sans l’ouverture de dialogue et d’écoute des ressentis et problématiques de chacun de manière institutionnalisée. Le « marcher à côté », devenu normal, étayera alors un accompagnement simple, naturel et humain.
Crédit photo : Rainer_Maiores / pixabay.com